Le cinéaste M. Costa-Gavras reçoit le prix Sakharov au nom du réalisateur iranien assigné à résidence, Jafar Panahi.

Interview : Tout cinéma est politique - M. Costa-Gavras

https://api.multimedia.europarl.europa.eu/documents/20125/16166022/n003-0221-fr.srt

Vous êtes un célèbre  réalisateur de cinéma.

"Clair de femme", "Un homme de trop",  "Conseil de famille", et j'en passe ?

J'ai cherché les traductions en français,  car je les ai vus en italien, ces films.

Mais aujourd'hui, vous êtes ici  au Parlement européen à Strasbourg

pour représenter un autre réalisateur,  cette fois-ci iranien...

Vous venez en tant que président  de la Cinémathèque française.

qui a gagné le prix Sakharov cette année  pour la liberté de pensée.

Avant tout, avez-vous  des nouvelles récentes de M. Panahi

qui est donc assigné à résidence ?  Il ne peut pas quitter l'Iran depuis 2 ans.

Lui avez-vous parlé au téléphone ?  Avez-vous des nouvelles de lui ?

Est-ce qu'il a un message  qu'il voudrait que vous fassiez passer ?

Il passe un message. C'est le discours  que je dois lire devant le Parlement.

C'est ça, son message.  Mais j'ai des nouvelles.

Il est emprisonné,  mais il est doublement emprisonné.

Il ne reste pas seulement confiné chez lui,  mais aussi il ne peut rien faire.

Il n'a pas le droit de filmer,  de rencontrer les médias, d'écrire, etc.

Il a été condamné à 6 ans de prison  et à 20 ans d'interdiction totale de filmer,

d'écrire et de voir les médias.  - Ils veulent le tuer.

Non. C'est un assassinat spirituel,  culturel, complètement.

Qui est ce réalisateur iranien, M. Panahi ?

Est-ce qu'il a...  Est-ce que son cinéma est politique ?

Peut-on faire de la politique dans un pays  où la censure est omniprésente ?

Non, on ne peut pas. La preuve :  ils l'ont arrêté et ils l'ont condamné.

Le cinéma iranien est un grand cinéma.

Il y a des metteurs en scène formidables  qui ont gagné des prix un peu partout.

M. Panahi aussi a eu des prix  à Cannes et à Venise.

Il a eu des prix à Berlin. Donc, c'est  un des grands metteurs en scène iraniens.

Et son projet cinématographique est  de faire des films sur la société iranienne

telle qu'elle est, sur les hommes,  les femmes, et la vie qu'ils ont.

C'est ça qu'on lui reproche : de trahir  son pays et d'être contre le système.

Donc, forcément, si on parle de la société,  on parle du système et donc de la politique.

Mais tout est politique,  finalement, au cinéma.

Dès qu'on parle du social, de ce  que pensent les hommes et les femmes,

ça devient forcément politique,  surtout dans un pays comme le sien.

À votre avis, ce prix Sakharov pourrait  l'aider ou lui causer des problèmes,

vu que la situation au niveau  de son jugement est encore en cours ?

Je pense que l'exposition  médiatique que ce prix a,

je pense aussi que le fait que le PE  lui donne ce prix,

c'est très important. Ça peut  être plutôt favorable que négatif.

Très bien. M. Costa-Gavras,  vous venez de faire un film

Vous êtes grec d'origine,  il ne faut pas l'oublier.

J'ai une question, parce que cette semaine,  l'UE a reçu un prix Nobel de la paix.

Est-ce que vous pensez  que ce prix était mérité ?

Sûrement. En tout cas pour la pousser  à faire une politique culturelle, sociale.

Pour le moment, je pense qu'ils sont  trop axés vers l'économie.

À propos de ce prix-là,  je regrette une chose.

Je regrette que la CE n'a pas décidé  de prendre des jeunes de tous les pays,

et de tirer au sort un de ces jeunes  pour lire ce discours,

plutôt que ce soit un des présidents  ou des vice-présidents ou je ne sais quoi.

Ce serait un signe, à mon avis,  d'une Europe large

Retournons à votre film,  à la crise financière.

En tant que Grec, quel sentiment  ça vous fait cette crise qui persiste,

ces peuples qui sont vraiment  dans la misère et dans la souffrance ?

On a l'impression qu'on leur demande  beaucoup de sacrifices,

mais que, en fait,  les riches sont toujours plus riches,

la City de Londres gagne  toujours plus de milliards.

À votre avis, il y a une solution au système  financier comme il est construit ?

Non, le système financier comme il est  aujourd'hui est complètement inacceptable.

Il faut réguler la finance et les banques.  Les banquiers eux-mêmes le demande.

Même s'ils n'y croient pas beaucoup, ils  le demandent, en tout cas pour les médias.

Je pense que le pouvoir s'est déplacé  complètement de la politique à la finance

et ça, c'est inacceptable pour une société.

Et ça, il faut que le PE...  Je pense que le PE agit de mieux en mieux.

Il a de plus en plus de bonnes réactions  et de bonnes décisions.

Le risque, c'est que les capitaux  partent, fuient l'Europe.

Qu'ils partent.  Ils reviendront un jour,

parce que l'Europe,  c'est l'endroit le meilleur au monde.

On ne peut pas rester devant  une sorte de chantage de ce type.

"Le capital va partir." Et alors ?  On a vu d'autres catastrophes en Europe.

Il y a eu les crises, les guerres, etc.  On s'en est bien sortis, de mieux en mieux.

On ne peut pas accepter  ce chantage-là du capital,

parce que c'est un moyen pour eux  de prendre le pouvoir complètement

au lieu de laisser le pouvoir aux gens  que nous élisons à chaque législative.

Si vous pouviez dessiner un petit scénario  pour un film sur l'Europe ?

Vous la voudriez plus sociale,  plus juste, plus humaine ?

Une Europe...  - Des suggestions aux leaders européens.

Les pères de l'Europe ont voulu une Europe  politique, sociale, culturelle, économique.

On a commencé par l'économie.  C'est inacceptable. L'économie ne peut pas

être seule, sans la politique,  sans le social, sans le culturel.

J'espère que cela sera un film un jour.

Un jour... Oui, mais ce n'est pas  une histoire facile à faire.

On y travaille tous les jours.  Merci, M. Costa-Gavras. À bientôt.